un air de Cigalère
1er août 2010, je regagne le camp Arshal pour la seconde fois, pour une durée de deux semaines et une seule course de caddy en grande surface à St Girons, dont nous venons juste de nous acquitter. Cette année j'ai tiré le caddy viande, un mauvais cheval. Une heure de patience frileuse à jeter des coup d’œil navrés au boucher qui débitait sans relâche nos rôtis, me laissant affronter le regard dubitatif des clients qui s'impatientaient au stand. Résultat, je suis arrivée bonne dernière mais soutenue au final par les autres canassons avant la ligne d'arrivée en caisse.
Nous voilà donc à nouveau au pied du Bentaillou. Le soleil au zénith, nous écrase d'une lumière accablante. Nous devons pourtant nous décider à confier nos véhicules à un parking improvisé au milieu des édifices délabrés qui n'offrent guère une perspective accueillante. Difficile de dire lesquels de ces bâtiments sont encore fonctionnels. Le 4X4 contenant les denrées périssables est privilégié pour réquisitionner le peu d'ombre qui se cache sous un vague garage. Au milieu de cet environnement éblouissant auquel nous tentons tant bien que mal de nous soustraire en nous entassons autour du véhicule, se glisse une bouteille de vin distribuée à la volée qui s'efforce d'apporter une touche festive au repas de tomates tièdes et de chips luisantes qui s'étale à nos pieds. Hélas, pas de quoi nous faire oublier la pépie qui nous guette à la montée.
J'ai embarqué mon fils, Coco un ado-mestique. J'entends par ce terme situer l'animal dans son environnement familier, le plus souvent dans sa chambre et à courte distance d'une borne wi-fi. En ayant conscience de ses habitudes je ressentirai presque une certaine culpabilité en l’entraînant ici, aux confins de l'univers, vers le rien , le néant, dans le pays des vrais moutons ... Des n'ours ... Mais j'aurais tord de me plaindre car il n'a pas vraiment opposé de difficultés à ce séjour. Bref !! Nouveau venu, le nez en l'air par dessus mon épaule, il s'enquière de situer l'endroit exact ou nous sommes censés aboutir dans le rempart qui nous fait face. Tout comme André l'année dernière, le bras levé, je pointe du doigt tout la haut le sommet de la pyramide. Le sentier de 12 kms dessine nettement un zigzag qui s'articule sur 30 virages à négocier pour les conducteurs. Sans l'ombre d'une hésitation, il opte aussi sec pour être le copilote de Bernard. Et si ce choix est économe d'effort, il n'en est pas moins sensationnel et distrayant car comme l'année passée Pascal, n'a pas manqué de faire son show avec sa BX, crachant kits et boulons aux entournures.
Sur le parking dans l'agitation ambiante, je tente de minimiser au mieux notre tas d'affaires, soupesant le nécessaire et l'indispensable mais je reste taraudée par le doute d'une erreur d'appréciation. Avant de grimper, je m'assure que tout soit embarqué. En ce début de camp le nombre de véhicules qui montent est insuffisant, déjà gavés par les courses le moindre espace se négocie avec les conducteurs. Un petit sac se glisse sous un siège, un duvet vient amortir les chocs, etc... Les kits s'alignent au ras du plafond. A peine cette corvée achevée Lucienne qui piaffe d'impatience campée sur ses bâtons, m’enrôle avec précipitation. J'imagine qu'elle recherche une compagnie discrète, efficace et je crains un court instant de ne pas être forcément à la hauteur. La dame a certes un certain âge mais son attitude déterminée et ses jambes aux mollets fermes ne laissent aucun doute sur sa condition physique et le rythme qui se préfigure. Nous avançons sans traîner mais sans excès non plus , nous laissant libre de converser tranquillement. C'est encore une nouvelle mémoire qui m'accompagne sur ce trajet, teintée elle aussi d'un accent remarquable qui sarcle le sentier. Lucienne est belge, les mots semblent soumis à la gravité terrestre, et ses souvenirs montagneux s'élèvent et dépassent aisément les limites du Bentaillou. Ces jambes là ont botté plus d'un cailloux sur des chemins aventureux et dans les profondeurs, et usé plus d'une combinaison néoprène dans des siphons d'eau noire. Lucienne est une plongeuse de la première heure et pas en eau chaude croyez le, une mère supérieur des Abysses d'une âme inébranlable ( pas la p'tite sirène cöA ... ;)).
Et un chameau comme moi, extrayant toutes deux à la lisière de la forêt avant d'attaquer la côte ensoleillée, nos minuscules fioles d'eau qui ont pour avantage de tenir dans une poche latérale du sac à dos. Arrivées devant le porche de la Cigalère, nous éternisons les quelques gouttes qu'ils nous restent. Nous débouchons sur le tertre une demi-heure après les voitures, retrouvant les chauffeurs empressés à ranger les victuailles. Toute en lenteur, nous nous glissons à l’intérieur du chalet pour réhydrater notre bec dans un quelconque breuvage. Les cachets n'ayant pas encore fait leur effet dans les bidons d'eau, et notre manque ne pouvant en attendre d'avantage. Guillerettes, nous jetons notre dévolu sur les canettes de bière qui sont, je m'en fais la remarque, débarquées en premier et à portée de main. Nous n'hésitons pas non plus à corrompre les autres marcheurs qui déboulent à leur tour.
Survient ensuite l'apparition de nombreuses cloques sur la pelouse, un véritable catalogue de tentes d'une marque bien connue vantant justement les mérites de sa rapidité d'installation. Un gain de temps qui s'ajoute très sportivement à l'apéro tant convoité par tout un chacun.
Le Bentaillou est une fenêtre dont on ouvrirait très grand les volets. Nous nous y postons pour y voir défiler les levées de soleils rosissants, les assauts des vagues de la mer de nuages ou disparaissent un temps les ruines des bâtiments miniers ou, constater les variations d'altitudes des moutons qui font office de baromètre.
Les projets du jour se tartinent au petit déjeuner, s'élaborent au rythme des toussotements du percolateur qui enchaîne les tournées pendant que le thé lui, peine à se teinter dans l'eau traitée. Seule l'odeur de la soupe achève de nous réveiller. Celle que Christian prépare quotidiennement en ronchonnant dans la cuisine à côté et dont il impose la consigne d'un long mijotage jusqu'au soir. Cette soupe qu'il revendique agréée Bentaillou par les bergers locaux et que d'autres, à l’appétit frugale, voudraient lui faire alléger autant en matière grasse qu'en énergie consommée. Mais cet outrage quotidien produit autant d'effet que les vagues de brouillard sur le paysage. La soupe est à l'image de son touilleur consciencieux, riche et inépuisable.
Navré, chacun retourne à ses décisions matinales, les randonneurs randonnent, les bidouilleurs bidouillent, les photographes photographient et les explorateurs explorent. Le jour suivant on échange, sauf Lucienne qui explore ardemment piquée par la polémique diététique.
Pour notre part nous choisissons de démarrer raisonnablement en emmenant du matériel à l'entrée du Martel et en prospectant les entrées potentielles des environs. Lucienne embarque son matériel et se dévoue pour descendre les éventuels accès, Bernard, Coco et moi même formons notre petite équipée. A mi-parcours je les quitte un instant pour remplir quelques bouteilles d'eau potable à la source des Ancolies et les dépose ensuite non loin du sentier pour les récupérer au retour. Je grimpe encore une dizaine de mètres pour les rejoindre et je découvre soudain un paysage de cendres en suspension, mais la surprise de ce spectacle ne vaut que pour moi. Ils réagissent avec stupeur au trouble que je leur décris, invisible pour eux et sans douleur pour moi. Je cligne successivement les paupières pour conclure que c'est l’œil gauche qui est atteint. Nous poursuivons notre périple sans trop savoir quoi décider. Le matériel est déposé à l’entrée du canal comme convenu et Lucienne descend une diaclase sans suite. Le brouillard qui gagne accentue d'avantage ce moucheté noir qui m'incommode. Au loin d'Espagne, le grondement de l'orage sonne le retour au camp. Là bas, Pascal le toubib à qui je brosse les symptômes et mes antécédents rétiniens, se refuse à un diagnostique léger. Au chalet de l'EDF chez nos voisins, il obtient par téléphone les informations concernant les urgences ophtalmologiques du soir. Nous devons partir sur le champ avec Bernard pour Toulouse à l’hôpital Purpan. Une lumière verdâtre à envahie le paysage, l'orage est là et de violents coups de vent nous jettent sur la piste. La descente est longue, le fracas de l'orage nous assourdie et dans la lumière des phares la végétation s'affole. Nous espérons qu'aucun arbre ne soit tombé. En débouchant hors de la piste , nous nous sentons soulagés d'avoir parcouru peut être le plus pénible. Aux environs de minuit après nous être un peu égaré au milieu des bâtiments, un fond de l’œil nous éclaire au moins sur les faits. Pour ceux que le diagnostique peut intéresser, il s'agit d'un éclatement de la poche du vitrée qui est soudain et peut parfois être encore plus spectaculaire ( plus rien n'y voir), ce sont les débris de cette poche qui flottent à l'intérieur de l’œil. Au vue des nombreuses sutures au niveau de la rétine, le risque de rupture au moment de l'arrachement était tout à fait envisageable et notre visite est loin d'être un luxe. J'apprends au passage que l’œil droit n'est guère plus fiable. En général ce problème touche des personnes plus âgées mais l'altitude et la déshydratation ont certainement constitués des facteurs déclenchant.
La haut, les orages défilent sans arrêt pendant trois jours et nous préférons patienter que la piste ait séchée un peu, un virage a semble-t-il commencé à dégringoler. Avec le retour du soleil , nous croisons le Grand Tétra en goguette aux abords de la forêt . Nous regagnons le chalet pour assister au départ des participants de la première semaine et à l'arrivée de ceux de la deuxième. Un temps malgré tout suffisant pour entendre le récit des sorties du Coco qui a profité de mon absence pour faire une vrai belle sortie, au Solitaire et c'est plutôt sympa comme nouvelle.
Nous avons quelques adolescents en majorité peu volontaires, dont la nature toute en longueur les porte à se voûter à l'approche d'un écran d'ordinateur. Pour redresser cette inclinaison, Christian se plante comme un tuteur dans le programme des moussaillons et ça sent déjà la soupe à ce moment là !! Il initie ses disciples à l'art de rafraîchir une bière à bonne température dans un lac de montagne ou à la savourer au retour d'une visite aux Contemplatifs. Finalement le Coco il m'a dit qu'il ne regrettait plus d'être venu ...
Durant notre absence, la Cigalère a fait une pousse de croissance à partir de la Galerie des Aixois. L'exploration de cette zone a finalement alimenté nos quinze jours de camp.
La Cigalère malgré sa notoriété très ancienne, surprend en nous offrant chaque année l'opportunité de parcourir de nouvelles galeries vierges. L'année dernière avec Nadine nous avions arpenté sans nous en douter des salles inconnues dans l'affluent de la Onze. Christian a d'ailleurs repris cette année l'explo avec Laurent là ou nous l'avions interrompu, un petit porche ou s'écoulait une petite rivière qu'ils ont parcouru jusqu'à son rétrécissement un peu plus loin. Cette année Guido et Lucienne n'ont eu qu'à dégager quelques pierres dans un cul de sac, sous une coulée puis a se faufiler à quatre pattes sur une dizaine de mètres pour déboucher dans une nouvelle branche des Aixois et laissait à son terminus une escalade pour l'année prochaine.
Les hauteurs de la Cigalère, pour rappel un gouffre qui se conçoit à l'envers, contrastent radicalement avec la partie basse d'entrée ou l'on traverse des galeries lumineuses, scintillantes à outrance comme une carte de vœux. Les extrêmes sont en revanche austère, les galeries sont si peu accueillantes qu'elles donnent au froid tenace encore plus de mordant. Personnellement je fulmine contre le schiste sombre et friable qui ne ménage en rien ma demi-vue. Une terre noire dégringole de ci de là des plafonds et laisse sur les cordes en place un aspect vieillot, peu engageant pour celui qui ignore qu'elles viennent d'être installer comme c'était mon cas. Les équipes se sont succédés pour effectuer topo et photos de rigueur (je ne peux me permettre d'exposer de photos de la cavité, les droits sont propriété de l'état, ça m'est donc interdit:-/).
Un matin au petit déjeuner au stade ou le programme quotidien infuse encore dans une eau trop chlorée, nous échangeons en courts termes avec Nadine, revenant la veille des Aixois elle me dit : « Aujourd'hui je ferais bien beau et facile ». De cette réflexion minimale découle son opposé tout aussi simple. Si d'aucun vante souvent les qualités avenantes de cette cavité, il faut savoir qu'elle aussi, peut parfois se réveiller « moche et pas facile »....
Pour info :))
Un site Arshal est en cours de construction, il doit être présenté à la commission préfectorale avant d'être mis en ligne. Une fois cette formalité remplie, je mettrai son lien dans les favoris .
Voilà !! Voilà !! ;) @+
Chose promis, le voici :